A lire lentement, en prenant le temps…
Je voudrais vous souhaiter un bel été.
Je vous ai écrit en hiver, je ne voulais pas rater l’été.
Et l’été nous attend.
Ça y est, c’est l’été depuis le 21 juin, solstice d’été, le temps de l’Eros, du plaisir, de la joie, de l’abondance, de la vacance…
Quand on parle de la saison, on pense temps, au temps qu’il fait, et si il est de saison ou pas.
Une vraie question ici à Lille, surtout pour l’été, aura-t-on un été, un vrai été ?
L’été des terrasses et des soirées qui durent, se poser tranquillement dans cette énergie chaude et douce de l’été, des places et des cafés, où le temps s’étire, se prélasse et semble cette fois-ci infini.
On aime ça ici à Lille, le temps du dehors. Un petit rayon et hop le Lillois se ballade, il sort !
L’été, à Lille, nous fait régulièrement faux bond, il va, il vient, frais le matin, moite le soir.
Il pointe le bout du nez, on y croit, puis s’en va, disparaît dans une bourrasque, une averse, un orage, un nuage…
Quoiqu’il en soit, l’été sera là !
Cette année, comme toutes les années à sa façon, à sa manière.
Le temps de vivre…
« L’eau, l’air, la lumière. Profitez de ces délices passagères et durables. Car elles vous seront arrachées et, seconde après seconde, et jour après jour, elles vous le sont déjà par notre maître à tous, le monstre tout puissant, l’incarnation de la souffrance et du mal : le temps.»
Jean d’Ormesson.
Oui le temps Chronos, ce vieillard saturnien qui, sans beaucoup d’états d’âme, mange ses enfants, implacable temps qui passe…
Vite, dit-on, de plus en plus vite même, paraît-il !
Le temps qui passe et qui comme les grains d’un sablier s’écoule inexorablement, lentement et un jour toujours.
Il y a quelques jours je reçois un mail, il m’annonçait le retour vers la lumière d’un ami, après un week-end joyeux et léger.
Un dimanche soir, il s’est endormi, pour ne plus se réveiller.
Le fil fragile de la vie.
Le fil du temps coupé, sans aucune sommation. Brutal !
Le temps, cette durée de vie qui nous est donnée et dont on ne connaît que le commencement jamais la fin.
« Combien de temps…
Combien de temps encore
Des années, des jours, des heures, combien?
Quand j’y pense, mon cœur bat si fort…
Mon pays c’est la vie.
Combien de temps…
Combien? »
Vous aurez peut-être reconnu la merveilleuse chanson de Serge Reggiani : « Le Temps qui reste »
Qu’adviendrait-il de nous, de nos vies si on savait le temps qu’il nous reste ?
Lors d’une vengeance personnelle d’Éa contre Dieu, son père, dans le film « Le tout nouveau testament », Dieu (Benoit Poelvoorde) méchant et odieux, Éa, sa fille donc, envoie l’information à chaque personne sur terre, sur son téléphone, du temps qu’il lui reste à vivre, pour, dit-elle « rendre aux hommes la conscience de leur propre mort »
Eh bien c’est la pagaille, ça change la donne, une onde de choc parcourt et secoue la terre, on se réveille, on se ranime, on essentialise, on abandonne cartable et ordinateur pour suivre le ballet des étourneaux, laissant tomber chimères, peurs, angoisses, mirages, préoccupations du futur, pour enfin vivre le présent et se rencontrer, re-rencontrer son âme d’enfant, son âme sœur, son âme tout court…
Vous êtes-vous déjà posé cette question ?
Le temps de vivre…
Tout est une question de temps !
« Oui…j’aimerais bien, mais je n’ai pas le temps » Chaque fois que j’entends cette réponse dans mes séances, je sais qu’il y a une fenêtre, une ouverture, nous allons pouvoir travailler…
En effet c’est peut être fâcheux, mais ne pas avoir le temps, reste un choix.
Il n’y pas à se sentir coupable, juste responsable !
Car le temps, ce que j’en fais, est un espace de responsabilité, de liberté, est une de nos 5 contraintes existentielles*, et étrange paradoxe : on n’échappe pas ou plus à notre liberté !
Quelque peu angoissant ! Au point qu’une telle liberté, nous conduit parfois, c’est Éva Illouz, sociologue, qui le met en lumière*, à l’incapacité de faire un choix, trop de choix tuant le choix…
Tout tourne autour du temps et notre manière de vivre le temps.
Faire des choix et tenter de choisir sa vie, un acte souvent difficile, toujours courageux, parfois inouï.
Ce même jour, je recevais un autre mail, venant cette foi-ci de Marie…
Marie est une personne que j’ai accompagnée, il y bientôt 3 ans et qui m’écrit dans ce mail : « merci d’avoir été l’élément déclencheur ».
Marie* vit à Singapour, elle m’annonce qu’elle s’apprête à faire le tour du monde en courant tous les jours ou presque, un marathon, et relier ainsi les 4 continents, une course en solo de 26232kms sur deux ans ! Impressionnant !
Quand je l’ai rencontrée pour la première fois, elle était au bord de l’épuisement professionnel, la dépression n’était pas loin.
Quitter la France et retourner en Asie, a été salutaire pour elle, nous avons donc poursuivi nos séances par Skype. Notre travail a surtout consisté ne pas se définir, se réduire à ce qu’elle traversait et à revenir au moment présent et créer progressivement un espace de conscience attentive : parvenir à se voir partir vers ses trous noirs, vers les pensées dites négatives et culpabilisantes et courageusement tenter de revenir, encore et encore, revenir au ici et maintenant du temps présent. Sans chercher à contrôler ces pensées, les supprimer ou les chasser comme des oiseaux de mauvais augure mais en les voyant d’abord, en les observant, en les laissant passer leur chemin. Revenir au temps présent. Et constater très simplement que « Là, juste là, ici et maintenant tout va bien » Adopter cette discipline de progressivement revenir toujours et encore au temps présent et y respirer. Revenir à ce qui « Est » !
Quel courage, quelle volonté, quelle ténacité et quelle intelligence il lui aura fallu mobiliser.
Des qualités tout aussi nécessaires à la grande aventure qu’elle s’apprête à vivre aujourd’hui et dont je ne doute pas qu’elle les ait toujours solidement, même farouchement ancrées au fond d’elle.
Alors si le voyage que Marie entreprend, imagine, aujourd’hui est incroyable, fantastique, fabuleusement audacieux, un peu fou même, celui qu’elle a entamé en juillet 2016, ne l’était pas moins.
J’ignore son processus, le cheminement qui l’a amenée là, à cette décision, mais parfois ce qui ressemble à une folie, n’est que ce qu’il y a de plus raisonnable à faire.
Une décision follement raisonnable, en quelque sorte !
Face au risque de l’inconnu et à son péril on est souvent envahi par les doutes, l’inquiétude, la crainte de ce que l’on va perdre, abandonner, et on néglige l’autre versant de l’histoire : ce que ça coûte de ne pas faire, de ne pas aller au bout, de ne pas écouter la petite voix intérieure et parfois, le prix à payer est au final « very expensive »
Pour Marie, ce qui est certain, c’est qu’elle a choisi, choisi d’utiliser « son temps à vivre » pour ses rêves les plus profonds, les plus vivants pour elle.
Et pour ça, pour cet invraisemblable choix, chapeau bas !
Le temps de vivre…
« On oublie trop souvent que ce n’est pas le temps qui passe, mais nous qui passons. Nous passons trop souvent à côté de nos vies, qu’il nous faut apprendre à habiter à tous les instants »
Pierre Rabhi, paysan philosophe.
Apprendre à habiter chaque instant de notre vie, va demander de la lenteur, exiger de ralentir, se poser et regarder autour de nous, contempler.
Les temps modernes et leur technologie nous entrainent loin de cette contemplation, à la place c’est la connexion, même dans notre lit, le petit appareil a fait son apparition et s’empare de notre intimité. L’endroit du repos n’en est plus un, rares sont les endroits qui échappent à la lame de fond de l’hyperconnexion. Nous sommes sous emprise, addicts !
Avez-vous remarqué comment durant ces temps de connexion, nous sommes comme kidnappés, happés, les heures passent, nous disparaissons à nous mêmes, c’est l’oubli de la réalité, la vie nous échappe, le temps passe.
Face à ces sollicitations permanentes, à cette hyperconnexion, devant l’océan de choses à faire, des centaines de mails à lire, ou juste à supprimer, les notifications et tweets, du texto à envoyer, du cadeau d’anniversaire à acheter, des courses à faire, des futures vacances à préparer, du rendez-vous médical à fixer, de l’expo à visiter…
Je continue ?
On pourrait ne jamais arrêter.
Sauf à le décider…
Il y a une centaine d’années, la bougie avait raison de nos yeux et qu’on le veuille ou non, le repos s’imposait. Aujourd’hui, Times Square* n’est plus une exception, le cycle jour/nuit, si on y prend pas garde, n’être plus qu’une longue journée continue…
Au fond méditer, c’est d’une certaine manière arrêter le temps et prendre le temps de vivre.
C’est ce que nous faisons dans la pratique de la méditation Pleine Conscience.
Méditer, c’est choisir d’arrêter « de Faire » et prendre le temps « d’Être », juste Être et respirer, expirer, sentir, vivre et se sentir vivre, sentir sa respiration, son cœur, sa vie…
Être là ! Et pour une fois, enfin, pas pour faire quelque chose, il n’y aura rien à se demander, juste être là.
Le premier mérite de la méditation est d’être un acte gratuit, rien à faire, personne à être, rien à attendre…
C’est reposant, non ?
Il n’y a pas d’objectif à se donner, ce n’est pas pour réussir quelque chose, même pas pour réussir à être Zen !
Dans la diffusion à grande échelle de la Pleine Conscience, on voit apparaitre cette gageure, une sorte de « forçage à la zen attitude »
L’injonction à être heureux ou à devenir Zen.
Aberrant!
Eh bien Non, définitivement non, on peut ne pas être zen même quand on pratique la pleine conscience.
Un nouveau catéchisme ?
Devenir un stakhanoviste de la zen attitude ou encore exalté de la méditation ?
« Foutez-vous la paix » nous dit, Fabrice Midal, une façon un peu provocatrice de nous mettre en garde contre ce qui pourrait devenir de nouveaux devoirs, impératifs, exigences.
Lâchez-vous les baskets ! (ou sneakers)
Il est manifeste que sans discipline pas de changement, la Pleine Conscience n’est pas une baguette magique, c’est d’abord une affaire de pratique, sans elle point d’effet.
La nuance avec notre mode habituel c’est que ça ne se décide pas, on attend rien, on ne cherche pas, on pratique et on fait confiance !
Et parce que je pratique ça peut arriver, ça peut s’inviter à venir…
Et alors oui…Ça se détend, ça se pose, se dépose, se calme, ça se relaxe…
Comme les paillettes d’une boule à Neige, ça se dépose.
Le mot important, c’est « Ça »
Pourquoi ?
Le Ça, ne cherche pas, ne veut pas que ce soit comme ça devrait être, n’est pas dans le contrôle, c’est une autre attitude, celle de la confiance et d’abandon aux choses telles qu’elles sont, au processus vivant en cours et à sa continuité.
« En nous ouvrant à une conscience des choses telles qu’elles sont réellement à l’instant présent, nous goûtons souvent à des états très profonds de relaxation et de bien-être, aussi bien corporels que mentaux, même lorsque nous sommes confrontés à de graves difficultés »
Jon Kabatt-Zinn
Le temps de vivre…
Allez comme André Gide, prenons le temps, le temps de vivre cet été et…
« Regarde le soir comme si le jour y devait mourir,
Et le matin comme si toute chose y naissait.
Que ta vision soit à chaque instant nouvelle.
Le sage est celui qui s’étonne de tout. »
André Gide, Les Nourritures Terrestres
Laissez-vous vivre, prenez le temps avant que le temps ne vous prenne et laissez la vie s’inviter en vous et s’inventer instant après instant, comme un souffle d’air frais, une légère brise d’été…
Respirer cet air léger de l’été, ce sera dans quelques jours pour moi sur le chemin de Compostelle…
Je serai, comme toujours, heureuse d’avoir de vos nouvelles, bel été à vous.
« En te levant le matin, rappelle-toi combien précieux est le privilège de vivre, de respirer, d’être heureux. »
Marc Aurèle
Lisdalia
*Au moment d’envoyer ce billet j’apprends que Christophe André, Psychiatre, spécialiste de la méditation vient de sortir le livre « Temps de méditer »
* les existentialistes n’en ont mentionné que 4 : la solitude, la finitude, la liberté/responsabilité, la quête de sens; la contrainte d’imperfection a été rajoutée par Noël Salathé parce qu’il la trouvait importante dans ses accompagnements.
* Éva Illouz « Pourquoi l’amour fait mal »
* www.lootie-run.com; c’est naturellement avec son accord qu’elle est citée et que son site est nommé.
* Times Square qui représente New York et qui ne dort jamais